CHAPITRE XXIV

Des images de planètes défilaient sous les yeux de Leia. Statistiques, populations, ressources… des données qu’elle devait absorber et analyser pour prendre sa décision. Elle avait déjà rejeté un certain nombre de mondes ; d’autres ne la convainquaient qu’à demi. Pour l’instant, rien ne lui avait sauté aux yeux comme étant le site parfait de l’Académie de Luke.

La demande de son frère ne lui avait pas paru si difficile à satisfaire, puisque la Nouvelle République comptait dans ses rangs de nombreuses planètes. Elle avait sélectionné Dantooine pour les colons d’Eol Sha… Pourquoi une simple académie lui posait-elle tant de problèmes ?

Après avoir rencontré les deux premiers élèves de Luke et avoir mesuré leur différence, la princesse était d’avis qu’une Académie de Jedi exigeait un isolement complet. Elle avait parlé à Streen et à Gantoris la veille ; leur solitude l’avait touchée.

Si seulement son frère pouvait revenir au plus vite…

Avec Yan !

Soudain, Leia se rappela que Yoda avait enseigné l’usage de la Force à Luke sur Dagobah, un monde marécageux dépourvu de formes de vie intelligentes. Son frère désirerait certainement les mêmes conditions.

Dans ce cas, pourquoi pas Dagobah ?

Les marais avaient abrité Yoda des années ; la planète était à l’écart du trafic interstellaire… Mais elle ne disposait pas d’installations adéquates. Il faudrait bâtir l’académie.

En mobilisant les services de construction de la Nouvelle République, elle pourrait faire effectuer les travaux en peu de temps.

Mais elle n’était pas sûre que Dagobah soit la bonne solution.

Sa console de communications sonna.

Soupirant, Leia vit apparaître l’image d’un fonctionnaire.

– Ministre Organa Solo, je suis désolé de vous déranger, mais il faut que vous décidiez du menu du banquet en l’honneur des Bimminis. Vous pouvez choisir entre les filets de grazer sauce tartare, les médaillons de nerfs aux champignons doux, du dewback bouilli…

– J’opte pour les médaillons de nerfs. Merci !

Elle coupa la communication, puis se calma avant de reprendre son tour d’horizon des planètes de la Nouvelle République.

Derrière la cloison, Jacen et Jaina éclatèrent en sanglots. 6PO leur murmura des paroles rassurantes. Sa berceuse parut aggraver leur chagrin.

Leia aurait voulu se précipiter dans la chambre pour savoir quel était le problème. En même temps, elle eût volontiers scellé la porte pour avoir la paix.

Le lendemain de la réception dans les Jardins Botaniques, les deux enfants avaient attrapé froid. Un peu de fièvre, une congestion… le genre de maladie mineure qu’ils contracteraient mille fois dans les années à venir.

Cependant Leia ne voulait pas les abandonner à 6PO.

Après une solide autoprogrammation, le droïd-protocole s’était avéré tout à fait capable de s’occuper des jumeaux.

Mais la princesse restait sur la défensive. Elle était leur mère ; bien que cela impliquât de nouvelles responsabilités, elle n’entendait pas qu’un droïd les surveille en permanence, quelle que soit sa programmation.

Les enfants avaient déjà passé avec Winter un temps que Leia voulait rattraper… si ses occupations politiques lui en laissaient l’occasion !

Avant qu’elle puisse reprendre son travail, le communicateur sonna à nouveau.

– Qu’y a-t-il ? s’enquit-elle, retenant son exaspération.

Elle ne reconnut pas l’administrateur extraterrestre qui apparut sur son écran.

– Ah, ministre Organa Solo, je vous appelle depuis le bureau de l’assistant du ministre de l’industrie. On m’a dit que vous auriez sûrement une suggestion sur le type de musique adéquate pour accueillir la délégation des Ishi’Tibs.

Leia se souvint de sa captivité chez Jabba le Hutt. Au moins, il ne lui avait rien demandé de plus que rester assise et avoir l’air belle…

Avant qu’elle coupe la communication, un appel de l’amiral Ackbar lui parvint. Même si elle appréciait Mon Calamari, garder sa sérénité lui demanda un grand effort. Comment travailler avec ces interruptions continuelles ?

– Bonjour, amiral. En quoi puis-je vous aider ? Pourriez-vous être bref ? Je travaille sur un projet assez prenant.

Ackbar hocha la tête :

– Bien sûr, Leia. Je m’excuse de vous interrompre ; j’aimerais vous demander votre avis sur un discours de mon cru. Comme vous le savez, je dois m’adresser au Conseil. Or, vous aviez promis de me fournir des données sur les secteurs diplomatiques des zones dévastées de la Cité Impériale. J’ai rédigé mes notes sans vos renseignements, mais j’en aurai besoin d’ici à demain. J’ai signalé les cas où il me manque des informations. Vous serait-il possible… ?

– Bien sûr, amiral, je suis navrée d’avoir oublié. Transférez le dossier sur mon terminal ; je m’en occupe tout de suite. Je vous le promets.

Ackbar approuva :

– Merci, et pardonnez-moi encore cette interruption. Je vous laisse à votre travail.

Quand il coupa la communication, Leia ferma les yeux, espérant quelques instants de silence.

Pendant les accalmies, elle repensait à Yan…

La sonnette de la porte retentit.

Leia faillit hurler.

Dans son ample robe blanche, Mon Mothma se tenait dans l’encadrement :

– Bonjour, Leia. Ça ne vous dérange pas que j’entre ?

La princesse tenta de recouvrer son calme :

– Je vous en prie !

Mon Mothma ne rendait jamais visite à ses collaborateurs ; elle n’était pas du genre à avoir des relations sociales avec ses subordonnés. Sereine et charismatique, la présidente gardait ses distances.

A ses débuts sur les bancs du Sénat, elle s’était opposée à Bail Organa, le père adoptif de Leia. A l’époque, elle était un jeune sénateur prônant des changements radicaux et rapides qui dérangeaient le vieux routier de la politique. Puis ils avaient uni leurs forces pour faire barrage au sénateur Palpatine, lancé dans la course à la présidence.

Quand Palpatine s’était proclamé « Empereur », Mon Mothma avait parlé la première de rébellion. Bail Organa, horrifié, n’en avait pas reconnu le besoin jusqu’au Massacre de Ghorman. Alors, il avait compris que la République avait vécu.

La mort de Bail et la destruction d’Alderaan avaient profondément affecté Mon Mothma. Pourtant, jamais elle n’avait exprimé le souhait de se lier d’amitié avec la fille de son ancien rival.

– Que puis-je pour vous, Mon Mothma ? demanda Leia.

La présidente fit le tour de la salle de séjour, s’arrêtant devant les aquarelles des paysages d’Alderaan. Ses yeux brillaient de larmes.

– J’ai appris que vos enfants étaient malades ; je voulais prendre de leurs nouvelles… (Son regard croisa celui de Leia.) J’ai aussi appris que Yan et Chewbacca n’étaient pas revenus de leur mission sur Kessel. Pourquoi me l’avoir caché ? Puis-je faire quelque chose ?

La princesse baissa les yeux :

– Non. Lando Calrissian et Luke sont partis à leur recherche. J’espère qu’ils reviendront bientôt avec de bonnes nouvelles.

Mon Mothma hocha la tête :

– Je souhaitais aussi vous féliciter de vos succès… Ou plutôt, dans le cas présent, vous consoler.

Leia ne put cacher sa surprise :

– La réception en l’honneur de l’ambassadeur Furgan s’est soldée par un désastre !

La présidente haussa les épaules :

– Croyez-vous qu’un autre aurait fait mieux que vous ? Vous avez été parfaite avec les Caridans. Certaines batailles ne peuvent simplement pas être gagnées. Etant donné le talent des Caridans pour provoquer des incidents galactiques, je crois qu’un verre dans la figure représente une avanie relativement mineure.

Leia dût admettre que la présidente avait raison :

– Aujourd’hui, si je parvenais à trouver un monde où installer l’Académie des Jedi, j’aurais vraiment l’impression de progresser.

Mon Mothma sourit :

– Depuis le discours de Luke, j’y ai réfléchi aussi. Je crois avoir une idée.

La princesse écarquilla les yeux de surprise :

– Dites-la-moi, je vous en prie…

– Puis-je ? demanda Mon Mothma en désignant le terminal informatique.

Leia hocha la tête.

Lorsqu’une nouvelle planète apparut dans la zone de projection, elle sentit l’excitation monter en elle. C’était idéal ! Comment avait-elle pu manquer pareille évidence ?

– Réfléchissez, dit Mon Mothma. Il y a tout le nécessaire : l’isolement, un climat tempéré, un complexe déjà en place…

– C’est parfait ! J’ignore pourquoi je n’y ai pas pensé moi-même !

La console de communications sonna à nouveau.

– Quoi encore ? s’écria Leia.

Elle aurait dû mieux se contrôler, mais elle était à bout de nerfs.

Son interlocuteur manqua lui aussi de tact :

– Nous avons besoin de votre rapport sur-le-champ, ministre Organa Solo. Le comité délibère sur les moyens de se débarrasser des débris en orbite autour de Coruscant. Vous deviez assister à notre réunion ce matin…

Leia reconnut le fonctionnaire. Il s’agissait d’Andur, le vice-président du comité :

– Mon assistante a annulé mes rendez-vous de la journée. Je suis désolée de ne pas avoir pu venir, mais…

– Nous avons reçu vos excuses, mais pas votre rapport. Vous aviez accepté de rédiger un résumé, et de le commenter lors de la réunion. Vous êtes en retard ! Deux enfants malades ne doivent pas nuire au bon fonctionnement de la Nouvelle République.

Voyant rouge, Leia se souvint d’un instant critique dans le palais de Jabba, quant elle tenait le détonateur thermique, attendant qu’il explose.

Cinq, quatre, trois…

Elle se maîtrisa. La journée passée avec l’ambassadeur Furgan l’avait peut-être blindée contre ce genre de remarques désobligeantes…

– Tout ministre d’Etat que je sois, monsieur Andur, je suis aussi une mère. Je dois concilier ces deux tâches, car je ne sacrifierai pas l’une pour l’autre. Mes enfants ont besoin de moi. Le comité peut attendre.

Le fonctionnaire haussa le ton :

– Il nous aurait été plus facile de mener à leur terme nos délibérations si vous aviez été présente au lieu de jouer les nounous. Ne pouvez-vous engager un droïd médical pour moucher vos enfants ? Notre travail est plus important ; il s’agit de l’avenir du trafic spatial autour de Coruscant !

Leia se raidit :

– Moi aussi, je fais face à des problèmes cruciaux ! Comment voulez-vous que je m’intéresse à la Galaxie si je ne m’occupe pas de ma famille ? Si le bien-être des gens vous indiffère, si le culte du devoir a la préséance sur toute autre considération, vous auriez dû rester fidèle à l’Empire ! Vous aurez mon rapport quand bon me semblera, monsieur Andur.

Elle coupa la communication sans attendre de réponse.

Puis elle se laissa choir dans un fauteuil.

Se souvenant soudain qu’elle avait une invitée, elle s’empourpra.

– Ce comité se réunit toutes les semaines, et je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas patienter huit jours, expliqua-t-elle, sur la défensive. Je ne laisse pas en plan des négociations importantes. Je connais mon travail.

Mon Mothma hocha la tête et lui sourit :

– Bien sûr, Leia. Je comprends. Ne vous inquiétez pas.

Soupirant, la princesse se concentra sur la projection holographique de la planète :

– Peut-être devrais-je passer quelques mois à l’Académie, dès que Luke sera de retour… mais je n’aurai probablement pas le temps. Prendre des vacances loin de Coruscant est aussi facile qu’échapper à un trou noir. Les affaires de l’Etat avalent mon temps. (Elle s’aperçut qu’elle se plaignait et ajouta aussitôt :) Mais bien sûr, restaurer l’ordre des Chevaliers Jedi est primordial. J’ai le potentiel adéquat, ainsi que les jumeaux. Hélas, un véritable entraînement prendrait du temps et de la concentration, deux denrées que je n’ai pas en réserve pour l’instant.

L’air grave, Mon Mothma lui posa une main sur l’épaule :

– Ne vous inquiétez pas trop. Vous aurez d’autres préoccupations essentielles à l’avenir.